10 octobre 2008

Ariane Moffatt - Une fleur rare


Le hasard fait bien les choses parfois. Ariane Moffatt, qui fut au coeur des protestations contre les coupes en culture du gouvernement Harper, fera sa rentrée montréalaise au Club Soda le lendemain des élections fédérales. Nous l’avons rencontrée pour discuter musique, politique… et rage de dents.

Le vent froid qui souffle dans les rues balaie les feuilles mortes sur l’asphalte.

Nous sommes en fin d’après-midi et Ariane Moffatt enchaîne les entrevues depuis le matin. Comme si l’exercice n’était pas assez essoufflant, la jeune dame souffre d’un vicieux mal de dents qui la tenaille depuis quelques jours déjà. Dans de telles conditions, on connaît bien des gens qui auraient la mine plutôt basse.


Pas Moffatt.

Assise au pied d’un grand arbre qui s’endort tranquillement, celle qui a récemment lancé son troisième album, Tous les sens, est simplement resplendissante et de belle humeur. Une rare fleur qui résiste encore au froid mordant, si on veut.

Il faut dire que derrière ce sourire se cachent tout plein de bonnes nouvelles.

Tous les sens a été certifié or pour 50 000 exemplaires vendus quatre mois après sa sortie, en avril dernier. La critique et le public ont adoré. À ces éloges s’ajoutent celles de l’industrie: Moffatt a décroché sept nominations en vue du prochain gala de l’ADISQ, qui aura lieu début novembre.

Cou’don, y a-t-il une seule chose qui va mal dans l’univers particulier d’Ariane Moffatt?

«(Rires) En tant qu’artiste, j’étais contente du nouvel album, c’est vrai, répond-elle. Mais j’aurais été capable de faire la différence entre l’art et le marché, advenant le cas où le public n’aurait pas embarqué. Cela dit, c’est vrai que ça va bien, j’ai la chance d’avoir des gens qui écoutent ma musique et qui l’apprécient. C’est doublement plaisant.»


PRENDRE POSITION

Le 23 septembre, de nombreux artistes répondaient à l’appel lancé aux Gémeaux par le comédien Vincent Graton, qui s’était lancé dans une charge à fond de train contre le gouvernement Harper.

Pour le bénéfice de ceux qui auraient passé les derniers mois enfermés dans un gisement de sables bitumineux de l’Alberta, rappelons que les artistes protestaient contre des coupes de 45M$ dans différents programmes culturels.

«Je n’ai pas été touchée personnellement par ces coupes, précise-t-elle. Je me vois plutôt comme une porte-parole pour ceux qui n’ont pas une aussi grande attention des médias que moi.»

Malgré les protestations, les conservateurs trônent toujours au premier rang des intentions de vote (au moment d’écrire ces lignes, bien entendu) au Canada. Une certaine frange de la population, reprenant un credo répété par le premier ministre Harper, croit que les artistes se plaignent le ventre plein. Le moment est-il venu de constater l’échec de la mobilisation?

«C’est difficile de mesurer l’impact que le spectacle a eu, dit Moffatt après quelques secondes de réflexion. Je me dis que c’était déjà mieux que de ne rien faire du tout.


«Le spectacle a au moins été une magnifique occasion pour les artistes de prendre position dans la société qu’ils habitent, ajoute-t-elle. C’est notre devoir de créateurs de prendre position.


«Et personnellement, ça m’a permis de mieux définir mes convictions, de préciser le rôle de la culture dans notre monde.»

FÊTER OU SE CONSOLER

Le lendemain des élections, Moffatt sera donc de retour sur les planches du Club Soda pour le premier d’une série de trois spectacles consacrant sa rentrée montréalaise. Le lien entre les deux évènements – politique et artistique – est trop gros pour être évité.


«Je suis contente que mon spectacle tombe le lendemain des élections, se réjouit l’artiste. Je n’ai pas la prétention d’anticiper le résultat du vote, mais je verrais ça un peu comme une défaite si Harper était réélu. Son attitude, ses connaissances générales, son idéologie… on ne peut pas dire qu’il m’ait convaincue de quoi que ce soit.»

Mais Moffatt n’est pas une politicienne. Artiste avant tout, elle aborde ces questions en musicienne qui veut d’abord donner un bon spectacle et plaire à son public. Quand on lui demande si les élections pourraient influencer son spectacle, elle répond d’un ton rieur et optimiste:


«Ou bien nous allons fêter, ou bien nous allons nous consoler du résultat. Mais au moins, nous serons ensemble pour le faire.»


Et à voir le grand sourire qu’elle nous offre alors, on n’ose pas la contredire une seconde.

UN UNIVERS UNIQUE

«Sur tous les plans, c’est le spectacle dans lequel je me suis le plus impliquée durant ma carrière.»

La nouvelle création d’Ariane Moffatt révélera un nouveau pan de cet univers bien particulier qui fascine tant.

Difficile d’arracher des renseignements sur la forme que prendra le spectacle que nous verrons cette semaine: telle une magicienne qui ne veut pas révéler ses trucs au public, Moffatt laisse planer une certaine aura de mystère autour de sa mise en scène.


«Je ne veux pas gâcher les surprises», répond-elle avec un regard complice.


CONCERT INTIME


Utilisant les plus subtiles techniques d’interrogatoire que nous avons apprises à l’école de journalisme, nous parvenons quand même à décrocher quelques informations à la chanteuse.

Ce sera d’abord un spectacle misant en bonne partie sur l’intimité, ce qui justifie probablement le choix de cette salle à la capacité modeste (trois soirs au Club Soda plutôt qu’un seul au Métropolis).


Le contact avec le public est au coeur de l’oeuvre, dévoile l’artiste.

À l’instar du nouvel album, la voix sera mise à l’avant-plan. Plus, en tout cas, que ce à quoi on pourrait s’attendre de la part de Moffatt.


«La chaleur de la voix humaine prend une place très importante», explique-t-elle.


On sait aussi que les quatre musiciens qui accompagnent l’artiste sur scène (Marie-Pier Fournier à la basse, Joseph Marchand à la guitare, Joseph Perreault à la batterie et Pierre-Philippe Côté à toutes sortes d’instruments) changeront souvent de position et de rôle au sein du groupe. Tout le monde aura la chance de chanter, Moffatt prenant en charge quelques instruments au cours de la soirée.

Avis aux maniaques de l’arbre généalogique artistique québécois: trop occupé par l’excellent projet Beast, qu’il a mis sur pied avec Betty Bonifassi, le coréalisateur de Tous les sens, Jean-Phi Goncalves, ne pourra prendre part à l’aventure.

Combien fin limier sommes-nous!

TECHNOLOGIQUE

Pour la tournée tirée de son troisième album, Moffatt a voulu faire les choses correctement. Avant de s’attaquer au marché montréalais, elle a tenu à présenter son nouveau spectacle dans plusieurs petites salles à l’extérieur de l’île.


«Pour Le Coeur dans la tête j’avais fait trois spectacles, et le soir d’après je faisais le Métropolis, se souvient la chanteuse. C’est difficile de bien maîtriser un nouveau concept en si peu de temps. Cette fois, j’ai tenu à apprivoiser le spectacle sur une plus longue période.»


L’incorporation de segments «technologiques » (comprendre «vidéo») fait partie de ces nouveautés à dompter.


«Je voulais créer une espèce de petit univers unique, explique l’artiste. C’est quelque chose que je n’avais pas vraiment exploité auparavant.»

Dossier complet
Journal de Montréal
Photo - Le journal, Pierre Vidricaire

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