22 septembre 2009

Ariane Moffatt - Vive le Québec libre !

Par Thierry Lecamp

Trois albums de chansons originales devenus or ou platine, des concerts énergiques et bouillonnants… Alors qu’elle flirte avec la trentaine, Ariane Moffatt est déjà considérée comme une artiste qui compte au Québec : elle a déjà reçu pêle-mêle onze Félix, l’équivalent de nos Victoires de la Musique, et un Juno pour son dernier opus (Tous les sens, meilleur album francophone de l’année 2008 – récemment paru en France : cf. Chorus 68, p. 55), autre sésame professionnel mais à l’échelon canadien cette fois.

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Adolescente, c’est Tori Amos et Ben Harper qui lui donnent l’envie de chanter ; c’était il y a quinze ans. Depuis, Ariane Moffatt s’est forgée un solide bagage musical qu’elle tente aujourd’hui d’imposer sur le marché francophone européen malgré quelques essais non transformés auprès d’un large public [voir Chorus 56, Portrait]. Après un changement de major (Sony au lieu d’Emi, Audiogram restant son producteur québécois), son troisième album amorce un tournant dans sa carrière française grâce à Je veux tout, chanson de l’année 2008 au Québec, qui a reçu la bénédiction des radios. L’album a déjà obtenu en France le prix de la Fondation Lucien-Barrière et en Belgique le prix Rapsat-Lelièvre. De quoi encourager cette jeune ACI qui mordille les codes de la chanson pop pour mieux la réinventer, en jouant des sons organiques et électroniques.

CHORUS : Paradoxalement, peut-on considérer Tous les sens comme votre album le plus sage ?

ARIANE MOFFATT : Le plus assumé en tout cas, ce qui peut représenter une certaine sagesse musicale. Éviter les emprunts stylistiques et essayer d’être moi-même grâce à mes premiers acquis, c’est ainsi que je l’ai voulu. C’est l’album qui me permet de franchir une étape, de quitter ma période d’adolescente et d’être plus sereine dans mes choix en évitant les mélanges à tout prix.

– On dirait que vous l’avez spécialement conçu pour séduire le public français, ce qui semble être l’un de vos premiers objectifs…
– [rire] Ce qui peut donner cette impression, c’est que j’ai été très attentive à la force des mélodies, c’est une approche très française dans l’univers de la chanson. Mais non, cet album n’a pas été conçu dans ce but : il est simplement la résultante naturelle d’expériences que j’ai ingérées ces dernières années, où j’ai passé beaucoup de temps en France. J’ai écouté et rencontré beaucoup d’artistes français, et j’ai collaboré aussi avec un auteur-compositeur français, Franck Dewaere, qui vit à Montréal. C’est vrai que les influences du territoire américain sont moins présentes dans cet album que dans les précédents…
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– On sent chez vous un certain émerveillement, dès que vous l’évoquez, pour cette fameuse chanson française…

– La barre est haute ! Il existe des chansons qui sont grandioses. J’admire l’équilibre entre la mélodie et la poésie que l’on peut trouver ici. La poésie de Léo Ferré, c’est immense. Bien sûr, il y a des artistes que j’aime moins, parfois cela manque de groove, mais ce n’est pas pour rien que vous avez autant de monuments ! C’est pour moi un véritable puits d’inspiration.

– Comment vivez-vous le décalage entre votre notoriété au Québec et le fait que vous passiez encore pour une débutante ici ?

– Je reçois à chaque retour ici une bonne claque de réalisme ! Quand j’arrive en France et que je vais chanter dans des Fnac devant trente personnes, je dois avouer que ce n’est pas toujours évident. Mais j’aime les défis et depuis le début de l’aventure de ce troisième album, j’ai en tête qu’il est exportable. Alors, même si c’est souvent difficile – d’autant plus qu’il y a un décalage d’un an avec la sortie québécoise qui ajoute une certaine forme de répétition supplémentaire aussi bien dans la promotion que dans le fait d’assumer ces chansons aussi longtemps –, je fonce car j’en ai l’envie. Mes derniers mois en France m’ont en tout cas poussé à me poser ces questions : pourquoi cette quête, d’où me vient cette envie de conquérir, de convaincre ? Parce qu’au final, mon plaisir est d’être sur scène et en studio, alors que pour l’instant j’ai l’impression de grimper seulement des barbelés de médias pour tenter d’atteindre la terre promise que représente mon public.

– Et avez-vous trouvé des réponses à ces interrogations ?

– Il y a deux raisons en tout cas qui expliquent cette envie. D’une part, j’ai eu tout de suite beaucoup de chance au Québec. J’ai commencé protégée par Daniel Bélanger, dont j’étais la claviériste, et je suis entrée dans une famille d’artistes considérés chez nous un peu hype, dans une sphère qualitative… Le succès immédiat de mon premier album m’a même permis de relever des défis pour les suivants. D’autre part, c’est l’envie de faire encore plus de scène et de voir si ma musique peut trouver des résonances outre-Atlantique, dans un autre milieu, doué d’une culture différente.
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– Et votre constat, aujourd’hui ?

– C’est plus compliqué en France qu’au Québec. La grande différence, ici, c’est l’aspect show-business, glamour, l’image que l’on dégage. Il y a un star-système très présent, au détriment de l’univers de l’artiste, de ses qualités propres. C’est une vraie frustration car c’est très éloigné de ma manière d’aborder mon métier, je ne suis pas habituée à investir tant d’énergie dans ce domaine, alors que l’on se donne à chaque fois de façon frontale…

– Avez-vous une idée de ce que l’on retient de vous en France ?

– Je représente la « nouvelle cuvée » des filles québécoises qui écrivent leurs chansons et qui font leur révolution… Cela m’amuse, d’ailleurs : les journalistes français ont l’impression d’assister à un débarquement, avec Cœur de pirate et moi, après une vague d’interprètes plus « variété ». Le rapport France-Québec a changé avec l’apparition du Do it yourself, le mouvement de production-maison qui a été un phénomène important à Montréal. Et puis, cela fait longtemps que vous n’avez pas eu en France des auteurs-compositeurs québécois au succès durable, comme Charlebois ou Dufresne… En tout cas, je n’ai pas eu de mauvaises critiques ou des réflexions du genre « Retourne chez toi, la Canadienne ! » Alors, je considère que c’est ouvert, mais pour l’instant j’en suis seulement au succès d’estime.

– Et vos rapports avec les artistes français ?

– C’est ce qui m’encourage car le bilan est très positif, c’est que du beau : Mathieu Chedid m’a ouvert les portes en me permettant de trouver un manager, Albin de La Simone est mon agent secret artistique qui me met en contact avec les musiciens français, Yael Naim est devenue une amie, la rencontre avec Julien Doré lors d’un duo pour le 400e anniversaire de la ville de Québec m’a aidé à trouver en France une nouvelle maison de disques… Autant de réactions et de relations qui me permettent de ne pas me sentir comme la petite chanteuse solitaire qui arrive avec sa valise sous le bras, son label discographique pour seul contact, en criant : Aimez-moi !
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– Vous commencez d’ailleurs à écrire des chansons pour des artistes français, comme L’Homme de la situation, premier extrait de l’album d’Amandine Bourgeois, qui vient de La Nouvelle Star...

– Écrire pour d’autres dans un nouveau milieu est véritablement une nouvelle expérience. On m’a proposé, avec Franck Dewaere, d’écrire une chanson pour Amandine. Comme je ne la connaissais pas, je suis allée sur Myspace pour la découvrir et je l’ai trouvée féline ! Au Québec, j’ai toujours refusé de participer à des émissions comme La Nouvelle Star ou Star Académie – pour moi, ce ne sont pas des émissions musicales mais simplement de télévision – mais écrire une chanson, même si c’est une commande, c’est autre chose et donc le lien avec une émission de téléréalité ne me gêne pas.

– L’avez-vous écrite différemment d’une chanson qui serait spécialement destinée au marché québécois ?

– Oui, dans les paroles… J’ai apporté une attention différente au vocabulaire, à la tournure des phrases. Cela n’intervient pas en revanche dans la partie musicale car je ne me sentirais pas capable de penser autrement pour plaire au plus grand nombre. Je ne suis pas prête à mourir artistiquement pour un succès populaire. En revanche, je m’impose une différence d’écriture pour un single ou un extrait d’album.
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– Vous vivez à Montréal, cité francophone au départ mais aujourd’hui métropole bilingue par excellence. Or, les Français chantent de plus en plus en anglais... L’idée vous a-t-elle traversée l’esprit ?

– Non. Je pense que l’on ne peut écrire correctement que dans sa langue maternelle, la langue que l’on parle. L’écriture c’est aussi de la poésie, il faut donc maîtriser totalement les contours et les profondeurs de la langue pour y parvenir. Je n’ai pas envie de m’extirper de ce que j’écris, d’observer le résultat de l’extérieur et de me demander ce que je pourrais y ajouter. Une chanson c’est comme une extension de soi-même. Si ce n’est pas véritablement ton essence, cela devient seulement un travail d’ordre rationnel. C’est en tout cas ma vision actuelle.


(Propos recueillis par Thierry Lecamp, photos F. Vernhet)

Pour Chorus

1 commentaire:

  1. Il ne fait aucun doute que Ariane Moffatt est une très bonne chanteuse.

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