19 avril 2008

Ariane Moffatt: l'essence de l'équilibre

Sortie de ce qu'elle appelle sa crise d'adolescence artistique, Ariane Moffatt affiche une confiance radieuse à la veille du lancement de son troisième album. Elle n'a pas tort. Tous les sens, à paraître mardi, est son meilleur album. De loin et sur tous les plans.

Vue à travers le prisme de ses chansons, Ariane Moffatt peut facilement avoir l'air tiraillée entre ses affects et son intellect. L'image lui allait comme un gant au moment où elle présenté Le coeur dans la tête, à l'automne 2005. Elle était rongée par le doute, mal à l'aise avec son succès, soucieuse de se montrer aussi expérimentale que pop et inquiète de voir comment son deuxième effort serait perçu. «C'était ma crise d'adolescence artistique», lance-t-elle en rigolant.

Ariane Moffatt s'est toujours montrée rieuse en entrevue. Son rire, qui déboule en petites cascades, a parfois servi à cacher sa nervosité. Ou à masquer un malaise. Nulle trace de l'un ou de l'autre, cette fois-ci. Ariane Moffatt rit d'elle, tout simplement. Elle n'a jamais paru plus sereine qu'en ce mardi après-midi où elle reçoit les journalistes dans un café bric-à-brac du Mile End plus du type à servir des sandwiches à la betterave et à la luzerne que des paninis au prosciutto et au bleu d'Auvergne.

Le lieu n'a pas été choisi pour faire l'apologie de la simplicité volontaire ou du végétarisme. Ariane Moffatt pratique peut-être l'un ou l'autre, mais elle n'en souffle pas mot. Son art a par ailleurs toujours été plus intime que politique. Elle a choisi ce lieu pour une raison bien simple: il se trouve à deux pas de son nouveau logis. La chanteuse a quitté le Plateau-Mont-Royal il y a un peu plus d'un an pour s'installer dans le Mile End, un changement qui n'est pas étranger à la confiance qu'on perçoit chez elle et dans ses nouvelles chansons.

Vivre dans ce quartier lui donne le sentiment d'être «à sa place». Elle n'a plus du tout l'impression d'être une personnalité publique. «C'est inspirant parce que j'ai un regard d'observatrice et non pas d'observée», dit-elle. Une partie de ses voisins ne sait probablement pas qui elle est, vu la forte proportion d'anglophones vivant là. Les autres ne sont sans doute guère impressionnés: son voisinage compte une forte proportion d'artistes, dont beaucoup de musiciens.

«Le fait d'être bien dans son environnement immédiat, pour quelqu'un qui se promène beaucoup et qui peut vite avoir un sentiment d'instabilité, c'est une ancre, juge-t-elle. Ce n'est pas toujours évident d'avoir une résonance de son mode de vie. Ce n'est pas à tous les coins de rue qu'il y a des gens qui ont le même genre de vie que soi. Ça aussi c'est apaisant.»

Ondes positives

L'aspect le plus frappant de son album Tous les sens, c'est l'impression de légèreté qui s'en dégage. Mélodies, chants, refrains, structures, orchestrations, tout y est d'une limpidité exemplaire. Or, c'est un album foisonnant où un piano parfois jazzy côtoie des choeurs joueurs, où une espèce de reggae électro peut être coloré par des cuivres capables d'autodérision et où le romantisme le plus pur (Éternel instant présent) est le prélude à une déclaration d'amour beaucoup plus physique: «Je vais te toucher du bas vers le haut / Te faire chavirer, grimper aux rideaux (...) Faire casser les vagues dans ton dos / Faire avec toi le plus beau des duos» (Tous les sens).

«L'énergie sexuelle, l'adrénaline de l'amour est un moteur dans lequel j'allais puiser pour créer. C'est une bonne drogue dans la vie, rigole Ariane Moffatt. Enfin, c'est une chose qui, normalement, a un effet positif.» D'où le sentiment de désir qui traverse le disque et qui n'est pas que sexuel. Tous les sens tourne autour d'une envie plus globale: celle de vivre, de relever la tête quand ça ne va pas et de tirer le maximum de ce que la vie a à offrir.

Ce n'est pas qu'Ariane Moffatt soit devenue jovialiste. Son trouble n'est pas forcément moins grand qu'avant. «Oui, il y a des moments où la création est un outil pour panser certains tourments, mais je voulais expérimenter autre chose, dit-elle. C'est une question d'habitude: si tu commences à écrire à 16 ou 17 ans, que ton écriture ressemble à une espèce de journal intime dans lequel tu écris quand ça va moins bien, tu viens à t'imaginer que c'est juste comme ça que tu peux écrire.»

Elle a décidé de changer ses habitudes. De changer d'angle. De voir ce qu'elle a, plutôt que ce qui lui manque, et «d'être moins concentrée sur son petit nombril». «Même dans la voix, je pense que ce disque est différent des autres, avance-t-elle. C'est comme si j'avais pitché les tounes et les avais regardées au lieu de les subir. Avant je ne me demandais pas comment chanter, je ne me demandais pas s'il y avait d'autres options. Je faisais résonner la voix de mon âme sans prendre de recul.» Elle ajoute en chuchotant avoir abordé les chansons comme des «personnages».

Prête-moi ta plume

Ariane Moffatt souligne plusieurs fois qu'elle doit son album à ses collaborateurs. Alex McMahon (du groupe Plaster), qui avait coréalisé Le coeur dans la tête, signe ici de très beaux arrangements de cordes. Drôle de coup du sort, c'est Jean-Philippe Goncalves, aussi du trio électro Plaster, qui a été aux commandes de Tous les sens. «C'est la première fois que je laisse quelqu'un travailler sans regarder continuellement par-dessus son épaule et je suis sûre que ç'a été payant pour l'album, dit la chanteuse.

«En même temps, il m'a laissée être moi-même, ce n'était pas son album à lui. Et ça ne sonne pas comme du Plaster, même si ses trois membres (NDLR: le troisième étant le bassiste François Plante) y ont mis leur griffe. Jean-Phi m'a bien guidée, l'équilibre qu'il y a sur ce disque vient en partie de lui.»

Ce n'est pas la première fois qu'Ariane Moffatt s'appuie sur des musiciens talentueux pour tirer le meilleur d'elle-même. Avant ce disque-ci, elle n'avait toutefois jamais tenté de travailler avec un autre auteur. Franck Deweare, Français établi au Québec, a écrit le texte de L'Équilibre (l'une des meilleures chansons de l'album), a collaboré à celui de La fille de l'iceberg (moins convaincante et plus froide, aussi) et signe aussi, seul, Tes invectives.

Ariane Moffat dit avoir beaucoup soigné ses propres textes (ses meilleurs jusqu'ici, c'est vrai) et que de s'adjoindre un coauteur était pour elle une façon de se dépasser. «À partir du moment où je fais ce pas-là, ça va mettre la barre encore plus haut pour ce que je ferai dans l'avenir, dit-elle. Ça veut dire sortir de soi aussi puisque collaborer avec quelqu'un sur ce plan-là, c'est se mettre un peu de côté pour mêler son imaginaire au mien.»

Une artiste épanouie

Ariane Moffatt parle de Tous les sens comme du disque où elle s'assume le plus. «C'est celui qui est le plus moi, qui ressemble le plus à ce que je voulais au plan artistique», précise-t-elle. Même si elle s'intéresse à plein de trucs plus underground, elle admet qu'elle fait de la musique pop. Et elle ne sent plus le besoin de s'en excuser. «J'aime tremper dans un peu de tout, mais faire de la chanson pop, c'est ce que je fais de mieux et c'est ce que j'aime», établit-elle.

Une fois qu'elle a admis ça, elle s'est affairée à écrire les meilleures chansons pop possible. Elle les a voulues plus accessibles, plus mélodiques, plus courtes et elle a visiblement pris plaisir à travailler en ce sens. Ce qui ne changera pas, en revanche, c'est son goût pour les mélanges inusités avec, au premier chef, le choc stimulant des sonorités électroniques et acoustiques. «J'admets aujourd'hui que ce que je fais, ce sont des mélanges de toutes sortes de choses, dit-elle. C'est comme ça que je travaille.»

De ce côté-ci des haut-parleurs, on a surtout le sentiment d'avoir affaire à une artiste plus épanouie, à l'aise avec l'idée de ne plus simplement exprimer sa propre individualité, mais diverses facettes de l'âme humaine. C'est le métier qui rentre. Elle acquiesce: «Je suis contente de faire connaissance avec mon métier pour la première fois.»



Alexandre Vigneault - La Presse

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