24 avril 2009

Nouvelle Vague - Ariane Moffatt


Ariane Moffatt trouve le temps, entre une tournée au Québec et la promo en France de son dernier disque « Tous les sens », de répondre avec franchise à quelques interrogations concernant le parcours d’une voix venue d’outre-Atlantique. Entre poésie et variété, folk et électro, jazz et R&B, la jeune chanteuse nous révèle ses références, sa démarche artistique et son désir de faire du « Beau » dans un monde en perte de repères…


Ariane Moffatt Qu’est-ce que la jeune Ariane écoutait dans son enfance ? Puis qu’est-ce qui t’a poussé, après ton adolescence, à t’orienter vers le jazz?
Mes parents adoraient les grands poètes de chez nous comme Vigneault et Leclerc puis Ferland et Charlebois. Aussi je me souviens que très jeune, j’étais apaisée par la voix réconfortante d’un Yves Duteuil ou de Francis Cabrel... Il y avait aussi Michel Fugain et le Big Bazar qui faisait danser les trois enfants en pyjama le dimanche matin... Bref, de la musique de parents… Puis les univers très personnels et sensibles de Tori Amos et Ben Harper m’ont hypnotisée à l’adolescence. C’est à ce moment que j’ai commencé à transformer mon journal intime en musique, à gratouiller la guitare dans ma chambre et à décortiquer mes chansons préférées pour les reprogrammer dans le séquenceur de mon clavier... Ensuite, c’est grâce à mon professeur de musique au lycée que j’ai compris que pour pouvoir s’exprimer en musique, mieux vaut connaître la "grammaire musicale" et que le jazz serait un bassin d’apprentissage formidable pour y arriver. Il a créé une option musique sur mesure pour me permettre de préparer mes auditions en chant jazz au collège. J’ai ensuite fait deux ans d’université (une année classique imposée...) et me suis fait tirer des bancs d’école par un auteur compositeur qui m’a traînée en tournée comme claviériste/choriste.

Parle-nous de ton rapport avec la France et sa culture.
Mon rapport avec la France commence à dater... une première rencontre à la fin de l’adolescence, comme touriste. Une envie terrible de rentrer dans le cœur de Paris, de connaître ses secrets et non de la traverser en simple voyageuse. J’imaginais déjà des scénarios où j’aurais un appartement à Paris et un à Montréal, pour pouvoir jouer de la musique aux deux endroits. Un rapport au départ intimidant ; un peu comme si je devais m’adapter à la culture, au lieu de seulement m’intégrer doucement (réflexe de colonisée ?). Aujourd’hui je l’assume davantage et je sens que mes racines culturelles sont à porter fièrement, je sais aussi mieux à qui je m’adresse, et qu’il n y a pas de complexe à avoir.

"Tous les sens" est-il un disque autobiographique, construit d’histoires vécues ?
Moins que les deux autres disques. Certaines chansons sont des petits scénarios ou j’entends, même à travers ma façon de chanter, des formes de personnages aux caractères très différents (« L’Equilibre », « Briser un cœur »). J’ai eu envie de porter le chapeau de l’auteur compositeur sans toujours devoir être le cobaye sentimental de mes chansons. Par contre, l’énergie de la sensualité, de l’intimité et de l’éphémère, serait le fil conducteur autobiographique, reliant les titres et mettant en relief ce que je voulais dégager globalement dans l’album.

Donne nous quelques détails sur la genèse et la réalisation de ce troisième album (écriture, composition, durée, collaborations, lieux...)…
Pour faire un album plus tourné vers l’extérieur, il ne faut pas trop se prendre la tête, alors il était primordial de faire le disque assez rapidement, d’avoir la sensation d’avancer à un certain rythme. J’ai composé seule (à part les collaborations d’écriture avec Franck Deweare) dans mon petit studio, et disons que j’ai arrangé les titres simplement, mais en ayant une bonne idée de leur "habillement" final. Ensuite mon très bon ami et réalisateur Jean-Phi Goncalves est venu me rejoindre pour terminer cette petite pré-production dans mon lieu de création. Période de quelques semaines où l’on s’est défoulés sans retenue, posant des idées à gauche à droite sur chacune des chansons. Puis on s’est baladés entre un gros studio professionnel (!) pour les prises plus acoustiques (pianos, batteries, cordes, cuivres) et le home studio de Jean-Phi pour le bidouillage électronique, la chirurgie sonore et le nettoyage des nombreuses pistes. Pour terminer, j’ai décidé de louer un chalet à la montagne à la fin de l’hiver pour enregistrer mes voix. Au programme, snowboard le matin pour tout le monde et voix en après-midi/soirée. Une aventure humaine et gastronomique, avec juste assez d’embûches pour que ça reste agréable !

Décris-nous ton approche de la musique électronique, dont quelques touches sont audibles notamment dans "La fille de l’iceberg". Pourquoi pas un projet 100% electro ?
Depuis mon premier album, je me colle à un défi de rencontre entre les sources acoustiques et l’électro. Je poursuis cet apprentissage inconsciemment, comme si j’avais besoin des deux pour sentir que mon travail est abouti. Je crée dans la fusion d’influences, je ne proviens ni de l’électro, ni de la folk, mais de quelque part entre les deux. À la base, je crois que je tiens aussi à la forme chanson, et c’est cette dernière qui me dicte la direction des arrangements et de l’esthétisme sonore. Maintenant, je me vois très bien, éventuellement, prendre une ou l’autre de ces deux avenues (soit très acoustique ou seulement électro). En résumé, j’adore le lap top et la souris, mais je pourrais difficilement me passer du ventre d’une guitare ou du dos d’un piano.

Quels sont les personnages emblématiques qui t’intéressent aujourd’hui ? Tu sembles être une femme engagée, parle-nous du morceau "Jeudi 17 mai".
Je ne me considère pas comme une chanteuse engagée, loin de là, mais de plus en plus comme une citoyenne qui se responsabilise. Je ressens de plus en plus le besoin de m’impliquer et de m’intéresser à d’autres enjeux que ceux qui me touchent directement pour sentir que la vie en vaut la peine. Le 17 mai 2008, j’ai ouvert le journal et me suis vraiment sentie comme une poussière au milieu d’une quantité indigeste d’informations de toutes sortes, entre réalités tristes ou trop anodines... Tout ça dans un journal qui se distribue tous les jours et dans chaque ville de chaque pays de chaque continent de... (vous voyez un peu?!) Je me suis sentie comme étourdie, dépassée, impuissante et hargneuse par rapport à toute cette énumération de faits qui restent en surface et qui banalisent certains enjeux tellement plus fondamentaux. J’ai commencé à glaner ici et là certains titres de quotidiens français et québécois pour en faire des paroles de chanson en tentant de respecter le plus possible le titre original des articles. Ce fut ma façon d’exprimer mon état d’impuissance et d’empathie, d’injustice et de consternation...

Tes derniers disques achetés. Tes derniers coups de cœur artistiques (musiques, arts plastiques, cinéma, théâtre, littérature...). Qu’est-ce qui tourne en ce moment dans ton lecteur MP3 ?
Musique : Des artistes de chez nous comme Yann Perreau, Pierre Lapointe, Marie-Pierre Arthur, Malajube (y a tellement de bons auteurs compositeurs au Québec). Et puis dans la scène internationale, il y a Empire of the Sun, Band of Skulls, Adela Diane, Cut Copy, Joan as a Police Woman ou encore Ida Maria.
Cinéma : J’ai bien aimé le dernier Myasaki (« Ponyo ») et le jeu époustouflant de Sean Penn dans Harvey Milk.
Arts plastiques : Le travail de l’artiste graphiste anglais Bansky et l’exposition actuelle et bien électrique du Palais de Tokyo !

Quel(s) message(s) adresses-tu à ceux qui t’écoutent ?
Merci de faire l’effort d’entrer dans les petits trous de mon imaginaire, de prendre le temps de ressentir mes fragilités. « Enchantée nouveau public, vous verrez, je ne nécessite que très peu d’entretien ! »

En quelques mots, vends-nous ton album (fais-en l’éloge).
Quel exercice.... (longue pause). Je crois que c’est un album qu’on peut lancer en fin de dîner lorsqu’on ouvre la bouteille de vin non prévue et qu’on a envie de "groover intimement". Un album pas trop déprime qui a été créé avec tellement de soucis de faire du Beau... Je vous confie la suite...

Tes futurs projets ? (musique, théâtre ou autre...)
C’est déjà assez schizophrénique de me séparer entre la tournée au Québec (le disque est sorti depuis presque un an là-bas) et le développement de mes activités en France, je n’ai pas trop d’espace pour mijoter un projet d’album. Je puise de l’inspiration à même mon quotidien parisien et me concentre sur la promo (!) du disque « Tous les sens » ici. J’espère bien une belle tournée française à l’automne et une idée de génie pour donner le coup d’envoi à mon futur disque. Les rêves de voyages m’habitent constamment aussi, ils sont nécessaires à ma survie de femme et de créatrice.


Nicolas Hillali


Nouvel album « Tous les sens » (Columbia/Sony BMG).
En concert le 06/05 au Passagers du Zinc – Avignon (84) et le 07/05 à la MJC Picaud – Cannes (06)
Crédit photo (c) Yann Orhan.


1 commentaire:

  1. J'ai l'impression que cette entrevue a été légèrement "photoshoppée"...haha

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