24 juin 2009
Un K comme Kebec - Ariane Moffatt & Pierre Lapointe
OSER L'AILLEURS
Après avoir conquis le public québécois, Ariane Moffatt et Pierre Lapointe s’aventurent chacun à leur façon en Europe. Regard croisé sur la chanson, la France et les transformations que le voyage impose.
Est-ce l’amour de la chanson qui rapproche Ariane Moffatt et Pierre Lapointe ? Ca et autre chose. Au Québec, les deux auteurs, compositeurs et interprètes ont créé des univers forts et distincts, des chansons autarciques qui savent briller d’elles-mêmes sans jamais se cantonner à un genre, un style prédéterminé. Mais malgré ça, l’aventure musicale ne se décline pas tout à fait de la même façon tant pour elle que pour lui. Ariane cultive un univers coquin, des chansons intimes et joueuses, parfois électroniques, toujours audacieuses. Pierre brille par ses ballades plus grandes que nature, ses spectacles comme des pièces de théâtres, ses chansons orchestrales à la recherche d’absolu.
Issus de la même génération, Moffatt et Lapointe connaissent un franc succès chez eux, avec disques d’or, trophées, salles combles, et ce toujours au pluriel. Il y a quelques mois, les deux signaient chacun leur troisième album intitulé Tous les sens pour elle et Sentiments humains pour lui. Deux sorties réussies qui annoncent une opération de charme en Europe, plus sérieuse et dédiée qu’autrefois. Nous les avons réunis, chez Ariane, pour qu’ils nous racontent ce qui les unit et les sépare, leur regard sur le Québec et la France…
VOUS EXPLOITEZ CHACUN À VOTRE MANIÈRE L’INTIMITÉ. ON LE RESSENT PLUS CHEZ ARIANE QUE CHEZ PIERRE…
PL : Une chanson part toujours de la vie.
Mais c’est vrai que je me cache un peu plus derrière la poésie.
AM : Oui, les chansons engagées et sociales existent, mais le point de départ reste toujours toi, ta vie, et les évènements qui en découlent. Après, c’est la façon d’enrober quidiffère, le style d’écriture, le rendu.
PL : L’intérêt d’une chanson, son charisme, n’est pas seulement révélé par ce qu’elle dit. Elle dégage aussi l’état dans lequel on l’a écrite.
AM : C’est son aura en quelque sorte.
PL : Exactement. C’est quelque chose qui sesent et qui s’entend, qui se dégage au-delà du texte. C’est plus fort que les mots. Il y a des chansons dont les mots semblent insignifiants et pourtant, on est attiré vers elles. Comme un peintre qui travaille pendanttrois mois sur la même toile, quand on pose un geste artistique, on met une énergie dans une direction.
Y-A-T-IL D’AUTRES LIENS QUI VOUS UNISSENT OUTRE LA SIGNATURE SOUS UN MÊME LABEL QUÉBÉCOIS ?
PL : Oui… Mais ça ne se raconte pas (immense fou rire commun). On a fait des spectacles croisés comme à la fête nationale. Surtout, on partage beaucoup de musiciens en commun.Je lui en ai volé beaucoup.
AM : C’est vrai. Y’a Alex McMahon qui avait réalisé mon deuxième disque, Le coeur dans la tête, et qui est au clavier pour
Pierre en spectacle, Joseph Marchand à la guitare, mon collaborateur des premières heures, Tony Albino à la batterie qui a été de ma première tournée. Faut dire que la scène de musiciens accompagnateurs au Québec est relativement petite.C’est donc eux qui font le lien entre nous.
ON PEUT AUSSI VOIR LE PIANO COMME UN AUTRE DE CES LIENS… C’EST VOTRE PRINCIPAL INSTRUMENT DE CRÉATION ?
AM : Ca varie pour moi entre la guitare, les machines, le bricolage. Mais le piano reste mon instrument de scène principal et celui de Pierre aussi.
PL : Oui, sauf qu’Ariane, elle, elle a un diplôme de musicienne. C’est une situation qui m’a fait paniquer pendant des années, surtout lorsque je me retrouvais en présence de musiciens. Je ne suis pas un bon pianiste, mais je peux jouer mes trucs.
AM : Pierre dit ça, mais on a joué ensemble dans le cadre d’une émission télé il y a quelques années, il était habité par ce stress, mais il a regardé les accords et puis, c’était parti.
PL : Je fonctionne par le positionnement des mains. J’ai ma méthode. Mais je ne jamme pas. C’est pas mon truc.
LA CRÉATION POUR VOUS, C’EST EN TOUT TEMPS OU LORS DE PÉRIODES BIEN PRÉCISES ?
PL : Ca fait huit mois que je n’ai rien fait.
AM : C’est vrai que parfois on se demande si on est toujours auteur-compositeur. Durant les derniers mois, j’étais à Paris pour monter mon spectacle.
PL : Moi, je sortais mon disque. On est alors en jeûne, on n’a plus de jus. Tu te donnes tout d’un coup et après tu constates que tu n’as plus rien à dire.
AM : Ton esprit est occupé par autre chose. On est deux artistes qui s’impliquent dans toutes les sphères qui entourent un album :le clip, le spectacle, la promo.L’intimité pour la création est alors plus difficile à obtenir.
PL : Il faut prendre le temps de ré-accumuler des images et des sentiments.
AU QUÉBEC, À QUEL MOMENT AVEZ-VOUS SENTI UN DÉCOLLAGE, UNE RÉELLE RÉCEPTION DE VOS CHANSONS ?
AM : C’est un souvenir très visuel, très précis pour moi. C’est mes premières Francofolies de Montréal, un spectacle extérieur à cinq heures de l’après-midi, un des premiers depuis la sortie d’Aquanaute,mon premier disque. J’avais quitté la tournée de Daniel Bélanger et je savais que je devais voler de mes propres ailes. Physiquement, je voyais des gens s’approcher de la scène.Et je me disais, je suis en train de gagner mon public. Au début, il y avait peu de monde et à la fin, moment de grâce,il y avait foule.Une carrière décolle quand tu rencontres ton public. Et ce n’est pas nécessairement les médias qui te l’amènent.
PL : C’est vrai que certains artistes ont une grosse couverture médiatique, ils jouent à la radio et pourtant, ils n’ont pas de public. Et d’autres qui ne jouent pas à la radio réussissent à avoir un public.
TU PARLES DE TOI PIERRE ?
PL : Oui. Le premier extrait radio de mon dernier disque, Je reviendrai, a joué dans une seule radio à rotation forte pendant quatre jours. Mais bon, je ne m’inquiète pas, on a vendu 40 000 albums en un mois et deux semaines.
AM :Même chose en France où j’étais les quatre derniers mois. Il y a eu un moment difficile, où tu es perdu dans le contenant et non le contenu, tu prends des décisions, tu penses à ton image, aux
médias, à cette façon de se faire apprécier là-bas. Le dernier soir où j’ai fait mon spectacle à La Maroquinerie de Paris, c’était chaud, les gens étaient présents. C’est là que ton métier prend tout son sens.
PL : J’ai trouvé ça assez particulier ma dernière tournée en Europe.On avait donné une centaine de spectacles, la plus petite foule tournait autour de 500 personnes, mais j’avais pourtant l’impression de n’avoir personne. Il a fallu que mon gérant et mon équipe m’aident à constater que nous avions réalisé tout un boulot.Nos perceptions sont déformées par ce qui se passe ici, au Québec.
AM : Recommencer ailleurs est très difficile.
PL : Moi, j’ai senti que ça décollait lors de l’Adisq en 2005, lors de mes nominations pour mon premier disque qui a reçu six Félix. Je sentais que ça bourdonnait. Et la sortie du deuxième disque, La forêt des mal-aimés confirmait ce succès. J’avais oublié comment cela avait été difficile d’acquérir mon public, les quatre premières années de petites salles. Je m’attendais à arriver en France, dechanter une note et que l’on dise : “C’est un génie” ! Mais des gens qui chantent là-bas, y’en a un bateau.
EST-CE QU’ON FAIT LE MÊME SPECTACLE ICI COMME AILLEURS ?
AM : Je suis allée à Paris justement pour me monter un groupe avec des musiciens français. Puisque je m'y installaisquelques mois, il n’était pas question de faire vivre mon groupe de Montréal dans un appartement de 40 m2 ! J’avais promis d’y être plus longtemps pour le suivant. Psychologiquement, c’est comme recommencer à zéro, et ce n’est pas facile, mais cela reste une belle expérience.
PL : On se bâtit des familles au Québec. Je me bats pour amener mes musiciens en France,mais je suis en train de penser à un
spectacle solo.En France, on part à zéro et c’est très dispendieux.Pourtant, sans ma famille sur la scène, des musiciens qui jouent avec moi depuis sept ans,j'ai l’impression de ne pas resplendir.
AM : C’est un risque. Tu vois, en faisant le choix de ne pas partir avec mes musiciens, je reviens à Montréal, et Joseph mon guitariste joue maintenant avec Pierre.Il faut cependant s’y faire,
s’abandonner à l’idée que les gens ne nous appartiennent pas et que toute cette aventure musicale dépend de nous avant tout.
EST-CE QUE LES RELATIONS AVEC D’AUTRES MUSICIENS DE LÀ-BAS, QUE CE SOIT -M-, ALBIN DE LA SIMONE OU YAEL NAIM POUR TOI ARIANE SONT DEVENUS DE RÉELLES AIDES SUR PLACE ?
AM : Complètement. On partage Pierre et moi un ami, Albin de la Simone que j’ai appelé mon agent secret français. Avoir à
l’étranger un ami,auteur-compositeur comme toi, qui comprend la démarche dans laquelle que tu te trouves,cela n’a pas de prix.Albin a un aspect très sage, psychologue de l’artiste. Et puis pour trouver des musiciens, il m’a guidé. Avec Yael, on a fait deux nouvelles chansons pour l’album français. Lorsque je n’avais plus l’impression d’être dans la création, la période d’enregistrement dans son appartement pendant une semaine m’a réellement donnée du gaz pour un autre mois en France. Pour moi, c’est ça mon histoire avec la France, c’est ces rencontres avec des gens,des moments magiques où je réapprends mon métier.
Sarah Lévesque - Longeur d'ondes
Photo: Michel Pinault
S'abonner à :
Publier des commentaires (Atom)
Chouette entrevue! Merci beaucoup. Je les adore ces deux-là!
RépondreEffacer