26 janvier 2010

Ariane Moffatt — Heureuse, engagée et globe-trotter

Au fond du petit café où l’on se trouve en cette journée de la mi-janvier si pluvieuse qu'elle ressemble à un 17 novembre, Ariane Moffatt s’étire avant de reposer sa tête sur le mur qui lui fait dos. Il y a quelque chose qui respire la satisfaction dans ce geste anodin, à mi-chemin entre le sentiment du devoir accompli et un instant de repos fugace qui précède une année du tonnerre.


L’année 2009 d’Ariane fut exceptionnelle à biens des égards. Celle qui s’amorce pourrait l’être encore plus. Ce n’est pas tous les ans que vous savez dès le mois de janvier que vous allez vous produire dans quatre ou cinq fuseaux horaires différents de la planète et sur trois continents, à savoir aux Jeux olympiques d’hiver de Vancouver, dans votre patelin du Québec, sur le Vieux continent et même à l’Exposition universelle de Shangai. On a vu pire, au plan du rayonnement international.

Pour l’heure, Ariane Moffatt est surtout heureuse de la mise sur pied d’un projet qui n’était pas à son agenda il y a trois semaines encore : celui d’amasser des fonds pour la reconstruction d’Haïti. Il y a huit jours, spontanément, elle a composé une chanson originale (Nap chante pou ou Haiti) avec Franck Deweare et Nomadic Massive, premier pas de ce projet à long terme.

« On a composé mardi de la semaine dernière, on a chanté la chanson une première fois mercredi (au Gesù), on l’a enregistrée le vendredi, quelques heures avant de l’interpréter au gala télévisé, et on a fait le mixage mardi », dit-elle, encore un peu étonnée de voir la vitesse à laquelle ce projet s’est concrétisé.

Ariane Moffatt a interprété sa chanson Nap chante pou ou Haiti lors du gala télévisé de vendredi dernier pour venir en aide à Haïti. Photo d'archives Benoît Pelosse

« C’est quelque chose qui fait du bien d’avoir la musique et la création pour sublimer un sentiment d’impuissance en quelque chose de palpable et de concret. Au lieu d’être impuissant devant ta télé, tu peux canaliser ton énergie dans quelque chose qui peut faire du bien à du monde. »

La chanson sera vendue en ligne dès le début de février. Chaque mois, d’autres artistes graveront des chansons originales ou des reprises qui seront également mises en vente sur le site afin d’amasser des fonds remis à un organisme haïtien.

« Je veux pas faire un hit à la radio avec ça. Je veux ramasser de l’argent pour une cause. On veut être sûr que le site marche bien, c’est pour ça qu’on n’en est pas encore à la vente en ligne. Ça devrait être aux alentours du 8 février. Il y a plein d’artistes qui se joignent au projet qui va se conclure avec un disque physique qui comprendra toutes les collaborations. Qui sait ? Il y aura peut-être plusieurs volumes. »

Continuité

Cette aventure n’est certes pas un engagement à court terme. Pas plus que ne l’est une carrière. Le parallèle entre le projet haïtien et le tracé professionnel d’Ariane Moffatt est évident. Quand on observe la façon dont elle mène sa carrière depuis quelques années, il est clair que l’artiste qui a eu 30 ans en 2009 mise sur le long terme, l’appui des fans fidèles et une vision artistique bien précise. Une forme de continuité, quoi.

« Pour avoir de la continuité, tu dois mettre des choses en place et faire preuve de patience. Je ne suis pas la fille à la personnalité la plus patiente (rires), mais en regardant plus loin que le bout de son nez, tu peux avoir de la portée sur le temps. La France, j’aurais ben aimé ça que ça pogne tout d’un coup. Ça n’a pas été le cas, mais je suis une tête de cochon, une fille acharnée, et quand j’ai quelque chose dans la tête, je n’abandonne pas. »

Justement, cette percée timide amorcée en Europe il y a quelques années a eu un impact puissant en 2009, quand Ariane Moffatt a été s’établir dans l’Hexagone durant six mois. Hormis le prix de l’album francophone par excellence raflé aux Junos, tous ses autres honneurs ont été obtenus de l’autre côté de l’Atlantique : le prix de l’Académie Charles-Cros, le Prix chanson française de la Fondation Diane et Julien Barrière et celui des FrancoFolies de Spa.

Résidence et – M -

Résultante directe de cette présence en Europe, Ariane Moffatt sera invitée à chanter lors de la cérémonie télévisée des Victoires – l’équivalent des Félix et des Grammy en France – en mars prochain. On saura cette semaine si elle aura des nominations à l’événement de prestige. Et c’est également en mars qu’elle s’offrira sa propre tournée européenne qui devrait comprendre une résidence hebdomadaire dans une salle de Paris.

« Je commence en France début mars, pour finir à la fin du mois. Environ 15 dates. À Paris, on pense à un concept du genre « Les lundi à Ari » à La Flèche d’or (sourire). Un concept avec des invités. Quoique ce n’est pas sûr encore. Je vais faire aussi les premières parties de – M – au Zénith, au printemps. Ça, c’est sûr. »

Visiblement, tout le temps et l’engagement investis en 2009 n’auront pas été futiles. Et Ariane Moffatt recommanderait à tous ses collègues artistes du Québec de s’expatrier en Europe s’ils ont véritablement le désir de percer le marché là-bas. Pourquoi ?

« Cela relativise ton succès, dit-elle, en se déplaçant sur sa chaise pour croiser le regard de son interlocuteur. Tu apprends quel est ton attachement à ce métier et quelles sont tes convictions, parce qu’il n’y a plus rien autour de toi. À 30 ans, ça m’a aussi permis d’avoir du recul sur ma vie. Et j’ai toujours cru à cette image de l’artiste qui va chercher l’inspiration ailleurs. »

Ariane Moffatt mettra bientôt le cap sur Vancouver pour les Jeux olympiques, puis ce sera ensuite La France. Photo Luc Laforce

Elle admet toutefois qu’elle a eu des doutes.

« J’ai remis en question le fait d’avoir été là si longtemps avant la sortie du disque (Tous les sens). Fallait-il vraiment que je sois là ? Et aujourd’hui, c’est vraiment impossible de regretter d’avoir entrepris ce voyage. J’en suis sortie indemne. »

- Tu avais l’impression que ça pouvait ne pas être le cas ?

«À un moment, je me demandais à quoi ça allait mener, tout ça. L’énergie donnée par rapport à ce que je recevais. Mais quand j’ai fait le Bataclan en novembre (regard d’extase vers le plafond), que je vois des salles pleines là-bas, je me dis que ça valait le coup. Maintenant, il n’y aura plus de décalage dans le futur. Quand je vais sortir un album, il sortira en même temps sur les deux rives. »

Bonne place au bon moment

Sur ce plan, Ariane Moffatt fait partie de cette courte liste d’auteurs et compositeurs québécois féminins révélés dans le première décennie du XXIe siècle qui a su s’imposer.

« Je suis arrivée au bon moment (elle touche la table de bois qui nous sépare). En 2001, il y avait pas mal moins d’auteurs-compositeurs féminins. Le marché n’était pas autant saturé. Après, l’explication, c’est le travail et le public loyal qui me suit. »

Après le succès inespéré d’Aquanaute, Ariane Moffatt a eu plein de doutes et d’interrogations sur son art et son implication. À l’aube de cette nouvelle décennie, elle admet n’avoir jamais été autant en contrôle qu’aujourd’hui.

« Des fois, je me vois comme une « vétérante » même si je n’ai que 30 ans, mais j’ai une espèce de détachement que je n’avais pas dans la vingtaine. Dans le temps, j’avais l’impression que j’étais accrochée à quelque chose (elle mime le geste avec ses mains). Je suis de plus en plus attachée à la musique, mais de moins en moins à la carrière. »

- Beau paradoxe. Ta carrière est bien plus importante aujourd’hui.

« Oui, mais c’est peut-être aussi pourquoi c’est moins stressant. J’ai une plus grande confiance, j’ai moins peur et j’ai une ambition mieux canalisée. »

Philippe Rezzonico - RueFrontenac

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