Dans un petit café rue Fairmount, Ariane Moffatt parle du quotidien, de son métier et de la vie avec une belle assurance.
Photo: Thierry Avril
Quel serait le prochain chapitre de ta carrière?
Après dix ans de métier maintenant, ma quête est moins dans l’ambiance de grandeur de conquérir la planète et de vendre des millions d’albums, mais plus dans le défi de me dépasser artistiquement et de faire encore de la chanson où je vais sentir que je suis fondamentalement créative. J’aime aussi pousser la ligne entre ce qui est accessible et pointu.
Est-ce que tu crées beaucoup la nuit?
Je n’ai pas d’habitude. Je suis loin de l’image du bohème qui vit dans sa bulle et qui écrit constamment sur sa petite «napkin» à côté d’elle. Pour moi, je pratique un métier. Je me dois de toujours rester à l’affût si je veux faire découvrir de nouveaux sons, explorer ma musique électronique ça exige du travail constant. Il y a un mode d’emploi qui vient avec toutes ces nouvelles «bébelles», ces nouvelles machines.
Est-ce qu'il y a des sujets que tu n'as pas encore abordés dans tes chansons?
Non, quand je me mets en mode de création, j’essaie de m’ouvrir le plus possible. Tous les sujets sont accessibles pour moi. Je ne me brime sur rien. Mon public est vaste, je touche le coeur d’une jeune puce comme celui d’une grand-mère. C’est une belle récompense pour l’auteure-compositeure que je suis.
Et le public français, il découvre quelle artiste?
Il n’y a pas de décalage de ce que je suis ici et là-bas. Les gens de Sony Columbia font un super travail avec moi et respectent fort bien ma démarche artistique et la femme que je suis. Je ne suis pas différente parce que je débarque tout à coup en France.
Le prochain album, tu y réfléchis?
Non, car j’ai sorti trois albums à un train d’enfer. Je ne suis pas une machine. Et à 30 ans, c’est bon de prendre un peu de recul. On ne fait pas un album si on n’a rien à dire. Ce n’est pas un travail à la chaîne. J’ai appris à laisser les choses se poser et voir les choses venir.
Comment vis-tu avec la pression de performance?
Ç’a beaucoup évolué. Au début, ce n’est pas évident quand tu commences, le succès t’arrive, tu te questionnes si c’est vraiment cela que tu veux faire. Je dirais que c’est un métier qui s’apprend en le faisant. Il n’y a pas de mode d’emploi pour bien vivre ce métier-là. Tu es ta propre PME. La pression était là au début, mais au fil des ans, j’ai appris à conjuguer avec tout cela. L’important, c’est de donner le meilleur de soi-même et il arrivera ce qu’il arrivera. Je ne veux pas me faire ronger par le stress. Au début, il y a eu des moments que je peux dire que j’ai craqué; ça ne m’a pas découragé, ni tout fait arrêter mais c’est la preuve que c’est un métier qui s’apprend. J’ai un entourage formidable, des vrais amis. Ma soeur qui travaille avec moi, qui fait des choix non pas axés sur le rendement, mais de bien-être. La trentaine me donne une belle sérénité.
Le jugement des pairs?
Je suis privilégiée. Je suis moi, c’est comme cela, avec mes défauts et mes qualités.
Et vieillir pour toi?
J’ai toujours vécu dans l’urgence, dans l’intensité, la quête de sensations fortes. Jamais je ne me suis projetée trop dans le futur. Je favorise l’intensité des moments. Mais en vieillissant, je sens que je vois plus l’horizon. J’ai toujours eu de la misère à m’imaginer vieille. Mais je n’ai pas peur de vieillir. Je ne suis pas obsédée par l’image. Le culte du corps, ce n’est pas moi. Ce qui m’a peut-être nui un peu car je ne suis pas assez axée là-dessus, mais je préfère mettre mes énergies ailleurs. La beauté intérieure c’est tellement cela qui est la vérité de l’humain. Souvent, l’image est une fuite de qui on est. J’ai toujours prôné le réel. J’ai essayé de ne pas me laisser envahir par les standards de poids, d’image superficielle. Ce qui ne m’empêche pas de m’entraîner à la boxe trois fois par semaine. J’aime les sports extrêmes et je pense que comme femme, vaut mieux avoir de la «drive» pour affronter tous ces hommes-là dans ce milieu-là. Mais je ne me sens pas pour autant nullement féminine.
Et des enfants?
Oui j’en veux et je sais que ma vie personnelle est plus importante que toute carrière musicale. Je veux réussir les deux. Ma vie personnelle ne s’expose pas, elle m’appartient. Je veux vivre sainement.
Quelle serait la prochaine étape pour Ariane Moffatt?
Je n’ai pas vraiment de plan. Je suis heureuse. Je vais poursuivre mon travail. Réussir sa vie...c’est réussir ses relations, d’être authentique, d’être honnête par rapport à ses choix. Je suis fière de ne pas m’être perdue. C’est un défi de rester en contact avec soi dans cette jungle-là d’égocentrisme et narcissisme. être vue sur un piédestal peut provoquer l’isolement.
Le plus beau compliment qu'on peut te faire?
De me faire dire qu’on fait du bien. Le privilège de faire partie de l’intimité des gens avec sa musique. Dans le deuil, une histoire d’amour, une peine d’amour; que ta musique entre dans l’intimité de quelqu’un et fait du bien. Dans ces moments-là, je sais que je remplis mon mandat.
Quel lien as-tu avec l'argent?
Je ne fais pas de grosses dépenses. Ça circule. J’ai la chance d’avoir des sous grâce à ma passion. Juste pour cela, je suis une grande privilégiée.
Et tes parents sont fiers de toi?
Mon père était administrateur dans le milieu scolaire, ma mère enseignante aux services de garde; les deux sont retraités, divorcés, remariés, heureux. Ma mère arrive d’un tour du monde et grâce à eux, je suis ce que je suis, car ils m’ont toujours rassuré de vouloir faire ce que j’aime le plus au monde. J’ai une belle famille. Pour n’importe qui sur terre, les racines, c’est sacré.
Et c'est quoi la vie pour Ariane Moffatt?
Un long apprentissage. Je vois le temps comme un horizon. Pas l’ascension, mais une répétition d’expériences qui nous permettent d’apprendre à se connaître.
Ariane Moffatt est en spectacle les 11 et 12 février au National avec ses complices Joseph Marchand et Marie-Pierre Arthur.
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Michelle Coudé-Lord - Journal de Montréal
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